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La fameuse baleine
bleue de la R66. Un
lieu inévitable.
Ce matin, je ne voulais pas laisser au soleil toute la latitude que je lui avais laissée hier en roulant en T-shirt. Nous nous sommes donc arrêtés, et chacun avait quelque emplette à effectuer à la grande concession HD de la ville. Je voulais un habit à longues manches. J’ai trouvé une sorte de T-shirt violet, mais taille américaine, si vous voyez le tableau. Cela pourrait servir de chemise de nuit à un basketteur ! C’est marqué en grand Harley-Davidson – vous voyez le genre, celui que j’adore – et au retour il va me servir éventuellement de pyjama en hiver, histoire de l’enfiler en catimini et à condition de faire chambres séparées.

Il nous a fallu, dans la chaleur, nous arrêter dans un bled, au bord de la route, à l’ombre rare. Assez vite, une puis deux, puis trois personnes sont venues discuter avec nous. Les mobs suscitent le respect des automobilistes et l’intérêt des gens. « Vous faites la 66 ? » On nous a offert des babioles, badges et autres gadgets ; on nous a pris en photo devant telle vitrine où il a fallu ensuite signer le guest book et apposer ici ou là sa signature, y compris chez le barbier, qui était une barbière.

Chaleur humaine et sympathie pour ceux qui « font la route ». On a décollé dans un bruit de tonnerre, en donnant de grands coups de talons pour passer les vitesses et en prenant l’air menaçant des vrais durs de la route, ceux à qui on ne la fait plus. C’est tout juste si, à chaque vitesse, on n’a pas lâché un « yeah » de satisfaction. Mais ça, ça aurait vraiment fait trop plouc !

Au passage, pour nous saluer, les camions klaxonnent et les interminables trains de marchandises font hurler leur sirène de bateau. Ce qui nous fait sursauter chaque fois. Je ne suis pas parvenu à décider si ce son métallique est joyeux ou sinistre.

La route, c’est aussi ça.

On a traversé l’Oklahoma, le pays des tornades. Visite d’une maison traditionnelle, à l’architecture étudiée pour résister à ces phénomènes courants.

Il est temps de vous présenter l’équipe. Car cette Route66 n’est pas un voyage qui suit son bonhomme de cours
au petit bonheur la chance. C’est toute une équipe qui travaille. En fait, nous sommes huit.

D’abord Nives Morel, c’est l’âme du voyage, la bonne fée du groupe, un miracle d’équilibre. Elle a tout réservé, a
prévu la longueur des étapes, connaît les endroits où il faut s’arrêter, sait par cœur les lieux pittoresques. Elle
rivalise d’attention et de gentillesse, et c’est à elle qu’on doit la bonne marche des choses.

Il y a aussi Patrick Peter, qui conduit la lourde Chevrolet. Il s’occupe de l’intendance, des boissons, des bagages,
de l’argent, des factures. C’est un homme d’additions, jamais de soustractions !

Il y a  Claire Chevalier et son fils Ethan, qui sont à l’œuvre pour mille détails, ils voyagent dans la voiture
généralement, prennent les photos du groupe, achètent la glace pour les glacières, toujours le sourire aux lèvres,
et le mot gentil.

Philippe Morel est là pour les décisions stratégiques concernant les HUG (!), les problèmes techniques des
réservations des motos, des billets d’avion, et des papiers officiels ; le matin, il donne toujours en retard le klaxon
de départ.

Charles Selleger, spécialiste des GPS, il est souvent en avance d’un carrefour, il règle les parcours, peaufine les
itinéraires, cherche la route la plus subtile. Il voyage en symbiose avec Laetitia.

Et votre serviteur, qui cherche à trouver des moments de paix pour écrire le voyage et l’illustrer.

La température est montée jusqu’à 40 degrés et on m’assure qu’elle pourra atteindre 48 degrés dans le Nevada.

A cela s’ajoute la chaleur du moteur. Je me rends compte que ce sera le problème principal. Si bien que lorsque
le soir tombe, elle se calme un peu. Je n’aime pas rouler de nuit, mais à deux reprises, nous sommes arrivés
tard à l’étape.

Nous avons quitté Chicago, traversé l’Illinois en suivant les tronçons de la Route66 de façon à les mettre bout à bout comme les grains d’un chapelet, mais d’un chapelet de plus de 4’000 km. Au final, nous aurons parcouru 5’300 km en nous rendant dans les parcs nationaux.

C’est en traversant le Mississippi et en passant sous l’arche de Saint Louis, que nous avons franchi une frontière symbolique, la porte qui donne accès à l’Ouest. Dans nos mémoires, le Mississippi chante sa longue mélopée. L’Etat du Missouri nous a donc offert de beaux tronçons de la US66.

Il fait chaud maintenant, terriblement chaud. Je roule en T-shirt et en gants, mais la chaleur monte de la route et au moindre arrêt, elle vous enveloppe et vous brûle. Une halte pour manger au Kansas, et nous voilà partis pour les terres brûlantes de l’Oklahoma.

Je regarde dans le rétroviseur et je vois la moto de Charles, et juste derrière, l’immense Chevrolet que conduit le bon Patrick et qui transporte les bagages et les boissons dans des glacières. On s’arrête souvent pour boire et Patrick est serviable. Philippe est tantôt devant, tantôt moins devant, tantôt à côté de la route, mais nos Navigators font merveille dans l’enchevêtrement des routes et des highways.

Les motos ? Trois Harley puissantes et bruyantes. Ce sont de braves motos, qui semblent solides et fiables. Entre mes jambes le gros moteur de 1700cc tremble et réagit immédiatement à la moindre sollicitation, il me sort de toutes les situations délicates. Sans finesse et passablement rugueux, ces gros veaux sont néanmoins sympathiques et parfaitement adaptés à ces interminables lignes droites.