Certains cantons peinent ou peineront de plus en plus à recruter leurs futurs enseignants. Les raisons de ce désamour sont multiples, et il serait erroné de l’attribuer à l’incertitude qui pèse sur l’avenir des caisses de pension. Les caisses de pension sont sans doute un déclencheur, mais le mal vient de plus loin, et depuis bien des années les profs de math, de physique et d’allemand sont devenus une denrée rare. La contagion s’étend à d’autres disciplines touchées par la pénurie.
C’est que le métier de professeur a changé du tout au tout en vingt ans.
– D’abord, il ne s’agit plus de transmettre un savoir, ni de se faire le passeur de l’héritage culturel mais d’animer les classes. Aux exercices répétitifs, on a préféré les activités ; au travail, le jeu ; à la règle, l’option. Le mode « cool » est branché en permanence sur l’école, qui est devenue une sorte de gardiennage dans lequel le prof est réduit à tenter de maintenir un ordre sans cesse vacillant. Peu soutenue par sa hiérarchie, son autorité est partout contestée : par ses élèves (ce qui est de bonne guerre), mais par les parents qui entendent participer à la co-gestion des cours, reformuler les barèmes, s’exprimer sur le contenu et la méthode ; par les directions enfin qui ne défendent plus leurs maîtres et les laissent seuls exposés à la critique externe.
– Ensuite, l’enseignement est un art, et ceux qui sont incapables de l’exercer en ont fait une science. Un des facteurs centraux de la péjoration du métier provient directement des HEP et de l’IUFE, carcans idéologiques et passablement indigents, qui se prétendent les garants des « sciences de l’éducation ».
– De plus, la difficulté éducative que rencontrent bien des parents, le laxisme ambiant, le désarroi, l’interrogation permanente sur les valeurs à promouvoir, les a poussés à demander à l’école de faire ce qu’elle n’a pas vocation de faire au premier chef : éduquer. L’école doit instruire, l’éducation est d’abord l’affaire des familles. Ce glissement progressif de l’instruction vers l’éducation a transformé le professeur en éducateur, ce qu’il n’est pas, et ce qu’il ne veut pas être. Et le stress est démultiplié.
– En outre, la dévalorisation sociale des professeurs (des fonctionnaires planqués qui ont trop de vacances) a fait de ce métier un métier trop exposé à toutes les critiques. Le professeur, ordinaire serviteur de l’état républicain, est devenu celui qui doit mettre de bonnes notes parce que le droit aux études est devenu, dans l’esprit de tous, un droit aux résultats. Et la pression sur lui est énorme, pression parentale mais aussi pression hiérarchique.
– A cela s’ajoute l’inflation bureaucratique qui a transformé le métier. L’Etat a tellement peur des recours, des plaintes, des réactions diverses, qu’il se blinde ; et les profs doivent sans cesse remplir des formulaires, justifier par écrit leurs moindres démarches, écrire des lettres, faire des statistiques, qui s’ajoutent à la réunionnite, aux animations diverses, aux sorties infinies, aux préparations festives, pour rendre l’école ludique.
– Enfin, l’école est l’objet de toutes les réformes, en rafales. Les nouveautés à peine intégrées sont rendues obsolètes par de nouvelles réformes absurdes, et cette danse incessante contribue à l’instabilité du métier.
Dans ce contexte, l’allemand, les mathématiques et la physique sont les premières touchées par la pénurie parce que ces disciplines sont cumulatives : il faut connaître ce qui est antérieur pour pouvoir comprendre ce qui suit. Le livre 1 de la physique doit être assimilé pour pouvoir passer au livre 2. Ce n’est pas le cas en français ni en histoire par exemple : on peut connaître la Révolution française en ignorant tout des lacustres. Ainsi les disciplines cumulatives sont plus vulnérables que les autres parce que les lacunes y sont plus dommageables. Les professeurs qui les enseignent sont en butte à un découragement tel parfois qu’ils renoncent à leur métier parce que la pression sur eux est la plus forte. En effet, c’est là que la sélection s’opère le plus visiblement. Les enseigner relève du sacerdoce.
Avec l’autorité à l’école en déliquescence, c’est l’autorité de l’école qui s’efface. Nous sommes sans doute à un tournant important de notre école publique. Les autorités exécutives responsables (CIIP et CDIP) feraient bien de se réveiller, de quitter leur système de déni de réalité, parce que le train est déjà à quai.