En 1748, Montesquieu publie à Genève un essai qui va être décisif pour la constitution française, « L’Esprit des Lois ». Cette œuvre majeure prône notamment la séparation des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il faut que ces pouvoirs ne soient pas dans les mains d’une seule et même instance, de façon à ce que les uns puissent contrôler et garantir l’autonomie des autres.
Le XXe siècle a vu naître et se renforcer de manière spectaculaire un quatrième pouvoir, celui de la presse. Les journalistes ont eu pour rôle de contrôler l’autonomie des trois autres pouvoirs et, dans cette mission, l’affaire du Watergate a été emblématique : deux journalistes d’investigation du Washington Post ont pu pousser un président des États-Unis à la démission. Il n’existe pas, malheureusement, un essai de la trempe de « l’Esprit des Lois », qui ait pensé clairement ce quatrième pouvoir en lien avec les autres. La difficulté provient sans doute du fait que la presse est polymorphe ; pouvoir à part, la presse, même de service public, échappe bien souvent à l’institution.
Or pour satisfaire à sa mission de contrôle et de liberté, la presse aussi doit être nettement séparée de la politique. En effet, on ne peut de manière crédible informer les gens si on est en même temps juge et partie. Difficile de dénoncer ce que l’on soutient. On a vu de scandaleuses collusions entre journaux et pouvoirs en place, entre journalistes et hommes politiques, si bien que les uns, non seulement utilisaient les autres, mais les servaient. On a ainsi manipulé l’information de manière éhontée.
L’arrivée d’Internet et des blogs a installé – depuis peu – l’ébauche d’un cinquième pouvoir, en ce sens que les blogs se sont mis à contrôler la presse elle-même. L’information y est directe, rapide, sans médiation, et évidemment va dans tous les sens. Les blogs sont les lieux de naissances des rumeurs, mais aussi de nombre d’analyses intéressantes. La déontologie journalistique étant absente, ils sont aussi bien des poubelles que des écrins. Lors des dernières élections, par exemple, des blogs ont proposé des analyses bien plus nuancées que certains médias, des prises de positions y furent moins tendancieuses que le militantisme délirant anti-UDC.
Ce qui est cocasse est que maintenant de grands quotidiens locaux couvent en leur sein une flottille de blogs qui se mettent sous la protection du navire amiral. Est-ce pour donner plus d’opportunité à ce cinquième pouvoir ou pour mieux canaliser l’esprit des blogs ?