Mars 2007

George Steiner (1929 –        )

Maîtres et disciples (2003) – Si Steiner est incontestablement un maître, il ne veut pas tellement avoir de disciples. Quelques-uns peut-être. Intellectuel, philosophe, professeur, historien des idées, essayiste, passeur de lettres, Steiner dans cet essai est tout à la fois, et il aborde la question centrale de l’autorité : qu’est-ce qui légitime une personne à enseigner à d’autres, où se trouve la source de l’autorité ? Dans la pratique scolaire, le bon maître est celui qui pousse l’élève sur son propre chemin après l’avoir armé. Son rôle est cependant ambigu car s’il doit érotiser le savoir, le maître peut abuser de ce pouvoir. Or, dans époque d’irrévérence et de barbarie au sein même de la culture, la condition de disciple, de celui qui doit in fine dépasser le maître, est plus compliquée, parce que notre société s’est dotée d’affectations parasitaires qui sont autant d’obstacles sur la voie de la transmission du savoir..

« Il n’est pas de communauté, de credo, de discipline ou de métier sans ses maîtres et ses disciples, sans ses professeurs et ses apprentis. Le savoir est transmission. Dans le progès, dans l’innovation, si tranchants soient-ils, le passé est présent. Les maîtres gardent et font valoir la mémoire, mère des Muses. »
(p. 153)

Lawrence Durrell (1912 – 1990)

Le quatuor d’Alexandrie (1960) – Les destins se croisent dans la grande cité d’Egypte où les personnages, Justine, Balthazar, Mountolive et Clea, forment le fil rouge d’une histoire foisonnante, poétique, délirante parfois. Les récits se superposent pour donner une épaisseur à ce labyrinthique combat du poète contre le néant. Car l’Alexandrie de Durrell est plus qu’une ville, c’est sa part d’être ajouté au monde. Une ville où l’histoire s’est jouée plus d’une fois mais qui, avant d’être historique et poétique, a d’abord été la structure intérieure de Durrell. La littérature est création avant tout, et dans cette ville, elle est la constitition même de l’âme, parce qu’ici l’âme est un style.

« C’est grâce à Nessim que j’ai commencé à me mouvoir avec quelque liberté dans la grande toile d’araignée de la société alexandrine. Mes moyens étaient trop limités et je ne pouvais même pas me permettre d’aller de temps en temps au cabaret où dansait Melissa. J’eus d’abord un peu honte d’être toujours l’invité de Nessim, mais bientôt nous fûmes si intimes que je les accompagnai partout sans plus me préoccuper de cela. »
(p. 57)

Janine Massard (1939 –     )

Le Jardin face à la France (2005) – A Rolle (où elle est née), Janine Massard fait revivre dans ces pages, sensibles toujours, poétiques parfois, la vie des gens de cette petite bourgade suisse. C’est la guerre. Le lac sépare et unit deux rives, celle de ce côté-ci et celle de l’autre côté, la France. Jardin préservé, la Suisse l’a été à sa manière, tout comme le jardin lacustre de son grand-père où vit la petite fille, entre vives joies et terribles angoisses.

L’auteur retrouve ici un regard d’enfant pour peindre le monde adulte et ses personnages colorés ; mais derrière la fiction, surgit le regard de l’auteur lui-même qui éprouve le besoin, par le prisme de l’écriture, de renouer avec une origine pour se réconcilier avec la vie.

« A la saison des étournaux que plus rien ne gênait puisque les épouvantails et les feuilles à bruit avaient été retirés des vignes, au moment où l’ombre commençait à s’attarder sur le jardin, des rumeurs ont repris au sujet de Hitler : son chauffeur avait beau affirmer qu’il était mort et bien mort, on le disait enfui avec Eva Braun, grâce à la complicité d’une aviatrice, on le prétendait au Moyen-Orient, où la Révolution irakienne lui avait promis l’accueil contre une conversion à l’islam. »

(p. 170)