Personne aujourd’hui ne colporte plus cette vision de la relation entre les ethnies où les Noirs disent « missié » aux Blancs. Et c’est juste. Mais il y a 80 ans, les choses étaient différentes. Un enfant qui lit « Tintin au Congo » ne va jamais tirer la conclusion que c’est ainsi qu’il lui faudra vivre désormais, et que les valeurs véhiculées par cette BD sont bien celles sur lesquelles il devra se régler. Au contraire, il sentira la différence d’atmosphère entre sa vie de tous les jours et la vie fictive où le conduisent les œuvres des hommes. Et c’est justement cette différence qui lui fera éprouver l’épaisseur de l’histoire. La distance du temps. Une œuvre est datée (même une BD), et la différence de temporalité entre elle et nous est porteuse d’enrichissement. C’est une des vertus de la fiction que de provoquer cet arrachement au moment présent.
Mais à force de faire rouler dans sa bouche les petits cailloux d’une modernité obnubilée par l’épuration pour masquer notre bafouillage chronique, on uniformise les moments de l’histoire et on extirpe les œuvres de leur contexte. Faire comparaître ces œuvres devant les tribunaux de la modernité, c’est transformer en mérite le hasard de la naissance tardive ! C’est du passé faire table rase, comme disparaissaient sur les photos officielles du régime soviétique les responsables tombés en disgrâce.
A la bibliothèque de Brooklyn, le Bien a encore frappé !