Le mot « compétence » est celui, aujourd’hui, qu’on utilise partout : à l’école, dans l’entreprise, les médias, les services publics. Il faut bâtir l’avenir sur les compétences, employer les compétences, fédérer les compétences, susciter les compétences, évaluer les compétences. Bonne idée ! Tellement d’ailleurs que l’information à la radio romande fait peau neuve : le constat qu’on n’est plus dans un monde où les journalistes hiérarchisent et distribuent seuls l’information oblige à modifier l’axe informatif. Tout un chacun a des compétences à partager, des avis à faire valoir, et la radio entend profiter, comme Wikipédia, de cette richesse collective. L’information passe par tellement de biais différents, notamment par internet, que les citoyens sont déjà au courant de ce qui se passe dans le monde avant même que la radio les en avertisse. Donc, collectivement, le public est plus compétent que le journaliste qui parle d’un sujet. Chacun est ainsi appelé à exhiber ses aptitudes sous forme de sons, d’images, de paroles. Finis les experts, bienvenue aux multi-compétents ! On va ainsi utiliser les auditeurs : les associer et les appeler à contribuer à l’émission.
Prime donc l’idéologie du partage : tout le monde peut ajouter sa pierre à l’édifice de l’information, mettre en commun et rendre compréhensibles les diverses facettes du monde « en mouvement ».
Seulement le rôle même du journaliste s’en trouve bouleversé. Il ne s’agit plus d’aller chercher l’information, de la mettre en forme et de la faire passer sur les ondes avec une signature claire et personnelle, avec une sensibilité reconnue, il s’agit de susciter le dialogue. Il se contente de tendre le miroir de la société et, au mieux, de l’incliner un peu vers la gauche ou vers la droite, mais il n’est plus celui qui colore les faits. Néo-animateur du vaste blog communautaire, le journaliste est train de changer de métier, comme le prof l’a fait en vingt ans. On a vu vers quoi l’école a dérivé sous l’effet à peu près des mêmes ingrédients (1 élève sur 5 est aujourd’hui en situation d’illettrisme au sortir de l’école obligatoire) ; on se réjouit d’observer dans quelle direction le néo-journaliste, avec sa nouvelle valeur ajoutée, va s’orienter.