L’immense talent de Jean Ferrat a été surtout de mettre en musique Louis Aragon. Il le confesse : les poèmes d’Aragon, il les a rencontrés alors qu’il était lui-même adolescent. C’est l’âge par excellence où, en matière de littérature, les choses essentielles se mettent en place. Rencontrer, à cet âge qui recherche une Atlantide, certains poèmes est une expérience cardinale : ensuite, sa vie durant, vous n’êtes plus jamais seuls, des mots vous accompagnent. Ils viennent remplir les heures de grande alerte.
Pouvoir de viatique ! Il en est ainsi des poètes mais aussi des grands chanteurs français. Ceux du premier cercle. Ferrat est allé rejoindre les Brel, les Brassens, les Ferré, les Barbara, les Reggiani, quelques autres encore, ce petit groupe qui avait porté la chanson française vers les sommets parce qu’il n’entendait pas chanter pour tout le monde mais seulement pour ceux qui aiment les belles-lettres, pour ceux qui valorisent une dimension d’intériorité et n’entendent pas partout et en tout temps s’éclater — maître-mot de l’hédonisme de pacotille. On disait que c’était des chansons à texte, c’est-à-dire des chansons où la musique se met au service des paroles.
Et quelles paroles lorsqu’il s’agit d’Aragon ! On sait étonnement vite qu’on vient de rencontrer un grand texte : il semblait nous manquer depuis toujours, il vient combler une absence, qu’on ignorait pourtant. Et ensuite, on a une dette qu’on ne cherche d’ailleurs jamais à éponger. Présence en nous de ces voix qui, chacune à leur manière, disent leur nostalgie de la beauté. L’imagination ajoute de la valeur à la réalité, et c’est peut-être grâce à ces poètes qui ont transformé la vie en destin qu’on aime vrai, qu’on aime bien.
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer. »